Je vous invite à la lecture de cet article* qui raisonne si fort à mes oreilles de médiateur familial. Quels sont les impacts des disputes conjugales et/ou des séparations sur les enfants? Que faire pour (les) sortir de ces situations ou mieux encore, pour les éviter? Puisse cet article raisonner aussi à vos oreilles…
Quand les parents se disputent, les enfants ne disent parfois pas grand-chose mais ils n’en pensent pas moins. Et ils reçoivent dans le silence l’impact de la discorde.
Des spécialistes expliquent le retentissement de ces tensions sur les enfants.
C’est une matinée de semaine comme une autre, en tout cas dans un foyer avec enfants : de celles où tout est minuté, où tout le monde est pressé. De celles donc, où votre progéniture décide de changer de tenue et se retrouve en slip au milieu de sa chambre à moins d’un quart d’heure du départ pour l’école. Alors quand, en plus, vous découvrez que le lave-vaisselle n’a pas été vidé par votre partenaire, l’histoire bascule. Les critiques fusent, les vieux reproches ressortent, le ton monte, une porte claque.
Si la querelle a été facteur de tensions pour chacun, ladite progéniture cogitera ensuite peut-être un peu plus que ses parents. La fameuse métaphore de l’éponge n’est jamais aussi vraie que dans ces instants : les enfants absorbent tout, entendent tout, perçoivent tout. Par «tout», comprenez l’état émotionnel de celles et ceux qui les entourent. Cette porosité commence dès la grossesse. Dans le ventre de la mère, où ils sont sensibles aux bruits extérieurs. «Le vécu des conflits parentaux se traduit alors par la sécrétion de cortisol et d’adrénaline (les hormones liées au stress, NDLR)», informe Agnès Florin, professeure émérite de psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’Université de Nantes. À la naissance, les bébés sont sensibles aux expressions du visage et savent, même avant 1 an, décrypter les émotions les plus courantes. Ils réagissent à la voix, au rythme de la parole et à ses changements. «Cela suscite l’attention du bébé et parfois la peur.»
L’effet d’une tempête chez les plus petits
Si l’altercation citée plus haut pour cause de lave-vaisselle non vidé, peut paraître anodine aux yeux des «grands», l’affaire est différente dans la tête des «petits». Bien sûr, un léger conflit n’entraîne pas la même tension chez l’enfant qu’une dispute intense. Mais un ton qui monte entre deux parents crée dans tous les cas un stress inutile pour le petit, en activant dans son cerveau le centre de la peur. « Les émotions négatives comme les positives, ont un impact sur le développement du cerveau de l’enfant, rebondit Agnès Florin. Et ce stress ici est toxique pour la santé psychologique et motrice.»
Chez les moins de 5 ans, la dispute représente une sorte de tempête qui les atteint et les submerge. La raison est simple : leur cerveau n’est pas assez mature pour comprendre la scène, la digérer, et gérer les émotions. «Sans la parole, les bébés par exemple vont exprimer leur angoisse par des pleurs ou des cris», illustre Caroline Kruse (1), thérapeute de couple et familiale.
Les émotions négatives ont un impact sur le développement du cerveau de l’enfant.
Pour les plus jeunes, les parents sont une source de protection et d’attachement qui assure leur sécurité, que la dispute vient alors rompre. Leur première réaction des enfants va être de culpabiliser et de se demander s’ils sont la cause du tumulte. «Ce sentiment est renforcé quand le conflit les concerne. Ils peuvent alors prendre sur eux la charge de la querelle. C’est une manière de ne pas se sentir impuissants devant ce qu’il se passe et ce qui leur fait redouter que leurs parents se séparent», explique Caroline Kruse. Et cette issue, sans surprise, crée également chez l’enfant de l’inquiétude et de la tristesse.
Des conséquences sur le comportement
Les plus grands, eux, ont davantage de ressources pour mettre les choses à distance. En grandissant, ils ont élargi leur cercle social. Et dans le cas de conflits récurrents, ils peuvent ainsi prendre appui sur les autres, ses frères et sœurs ou ses camarades. Au-delà du stress pour l’enfant engendré sur le moment, les conflits parentaux récurrents peuvent impacter sur le long terme, en augmentant par exemple le risque de développer de l’anxiété chez l’enfant.
Attention aussi à la reproduction. «Les petits apprennent des rôles sociaux, des manières de se comporter, auprès des autres et notamment des parents, qui sont des modèles», ajoute Agnès Florin.
«Certains parents disent qu’ils observent des problèmes de peau ou de digestion chez leur enfant, que celui-ci décroche de l’école, se remet à faire pipi au lit ou se ferme complètement», mentionne Claire Bonnelle (2), médiatrice familiale.
Ne jamais dire de mal de l’autre parent devant l’enfant
«Les parents ont conscience de l’intérêt supérieur de l’enfant, ils savent que les disputes sont mauvaises pour eux», insiste la médiatrice. Sauf qu’en pratique, force est de reconnaître qu’il n’est pas toujours simple de respecter la règle fondamentale du «jamais devant les enfants». Sans compter les cas de guerre ouverte où les partenaires sont aveuglés par le conflit et ne perçoivent pas les répercussions chez l’enfant.
Quand on attaque le parent, on attaque l’enfant
Au-delà de cette règle fondamentale d’échanger quand l’enfant est absent, Claire Bonnelle recommande de ne jamais dire du mal de l’autre parent en présence du petit, d’éviter tout ce qui relève de la négation de l’autre, tout ce qui le rabaisse. «Quand on attaque le parent, on attaque l’enfant», résume-t-elle. On évitera aussi toujours de demander à son fils ou sa fille de prendre parti.
Stress, colère enfouie… Ce que les disputes entre parents provoquent au plus profond de l’enfant
Si un «petit» assiste à une dispute, il est important de le consoler. «On peut le rassurer en mettant des mots sur ce qu’il vient de se passer, en lui disant qu’on s’est fâchés mais qu’on s’aime quand même, et que c’est exactement comme lorsqu’il se dispute avec des camarades ou avec son frère ou sa sœur», poursuit la professeure en psychologie de l’enfant et de l’éducation, Agnès Florin. Les parents doivent aussi lui dire qu’il n’est pas responsable des conflits.
Dans certains conflits, il y a parfois de la haine qui se traduit par des mots, des regards, or les enfants sentent quand un parent déteste l’autre.
Enfin, quand les conflits sont récurrents, que les partenaires ne voient pas d’issue et qu’ils ne parviennent pas à préserver le ou les enfants, une aide extérieure peut être nécessaire. Dans ce cas, la thérapeute familiale Caroline Kruse conseille d’en informer l’enfant. «La démarche le rassurera énormément et lui évitera de mettre en œuvre des conduites compensatoires, comme l’effacement, les comportements violents ou encore l’échec scolaire». Pour lui présenter les choses, inutile de tourner autour du pot : les parents peuvent lui dire : «Comme tu as pu le voir, on se dispute beaucoup trop en ce moment, alors on a décidé d’aller voir quelqu’un qui va nous aider à comprendre ce qu’il se passe et à éviter toutes ces disputes».
Une médiation familiale peut aussi trouver tout son sens. Claire Bonnelle, elle-même médiatrice, ne saurait que trop recommander d’opter pour ce chemin. Pour la simple et bonne raison que la médiation permet de donner aux parents un espace pour exprimer leur colère, sans que les enfants ne soient là. «Dans certains conflits, il y a parfois de la haine qui se traduit par des mots, des regards, rappelle la professionnelle. Or les enfants sentent quand un parent déteste l’autre. L’idée de la médiation est de travailler sur la relation avec les deux parents ; et en les aidant, on aide les enfants.»
(1) Caroline Kruse est l’auteure de Le Savoir-Vivre amoureux, Ed. Du Rocher, 8,90 euros.
(2) Claire Bonnelle est l’auteure de La Dynamique du conflit, 25 euros, et de La Médiation d’Adèle, 20 euros, Ed. Erès
*Article rédigé par Ophélie Ostermann du journal madame Figaro paru le 18 février 22 https://madame.lefigaro.fr/enfants/ce-stress-silencieux-que-vivent-les-enfants-lors-des-disputes-entre-les-parents-20220218
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